L’écriture d’une biographie.

Madame Z. n’a presque rien oublié de ce qui était peut-être écrit et qui s’est réalisé depuis sa naissance dans un bouquet de violettes à ses vieux jours dans une résidence pimpante juchée sur les flancs d’une colline varoise.


Voyez ses yeux comme ils s’éclairent lorsqu’elle rend au passé ses couleurs d’origine ! Déjà son buste se redresse, ses mains dansent, jusqu’à sa voix qui s’innerve au passage du souffle tout ragaillardi par l’air frais de ses jeunes années.


C’est que Madame Z. en a des choses à conter, à partager, à transmettre, à offrir à ceux qui voudront bien écouter. Tant de souvenirs qu’y penser seulement la fatigue tant elle est usée. Alors, pour ne pas l’accabler davantage et lui permettre de les visiter, je puise dans la patience que sa longue vie a explorée sous toutes les coutures et je me fais oisillon qui attend la becquée ; car on le sait elle et moi, la mémoire n’est pas un supermarché, mais un jardin dans lequel on avance à pas feutrés pour n’en rien déranger et renouer avec l’authenticité de ce qui s’y trouve.


Certains souvenirs sont à portée d’yeux. Madame Z. les tient dans sa main et nous les observons, ensemble, comme des galets encore mouillés que les éclats de mica font miroiter. D’autres montrent à ses yeux bien peu de consistance. Ils sentent le rance et râpent un peu la langue. Ils ont mal vieilli et il vaut mieux les faire attendre dans l’antichambre des pensées dans l’espoir que dans leur sommeil, ils retrouvent un peu de légèreté. D’autres encore sont si douloureux qu’il faut s’attendre à être touchées en plein cœur dès leur apparition. Ensuite ils se réchauffent un peu au contact de la paume puis s’étendent sur la feuille, comme bercés par le chuchotement du stylo.


Il arrive que Madame Z. s’en aille très loin les chercher, ces moments du passé, comme à tâtons, sans crainte de se perdre dans les plis de la mémoire ; elle s’en va et revient avec le sourire espiègle d’une enfant joueuse avant de me les tendre sur le fil de sa voix, en pleine lumière.


Madame Z. n’enjolive pas la vie ; elle est belle de nature. Madame Z. ne l’obscurcit pas non plus ; elle se pare toujours de couleurs inattendues.


Pas à pas et loin des bruits du monde, Madame Z. nourrit la palette de fragments mémoriels qui formeront l’écriture de sa biographie et rendront lisibles la richesse de son vécu empreint d’élans, de paysages, de rêves, de visages, d’espérance et de choix singuliers.

G. Ariey / Septembre 2022


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